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L’Usine, centre culturel autogéré en danger

Entre ses espaces de concert, de cinéma, de théâtre, ses disquaires, ses labels, ses lieux d’échange, il flotte un parfum d’activisme dans L’Usine, à Genève. Là où la parole militante est imprégnée dans chacun des murs de cette ancienne usine, on questionne le rôle de la culture dans la société, on lutte contre la passivité et on pousse les limites de la bienséance pour parfois choquer, jamais blesser, toujours questionner. On a discuté avec Sam et Clément (L’Usine) et Florence (Le Zoo) de sujets passionnants et, avant que l’article ne sorte, L’Usine s’est mise en grève. Présentation d’un des plus grands centres culturels autogérés d’Europe dans un contexte compliqué.

L’Usine aboie

L’histoire commence en 1989. Cette année-là, la Ville de Genève permet à l’association Etat d’Urgences (devenue L’Usine en 1999) de s’installer dans l’ancienne Usine Genevoise de Dégrossissage d’Or. Pour le coup, brasser l’or n’est pas réellement le domaine d’activité que cette charmante équipe va développer. L’idée : y monter un centre culturel autogéré. Autoquoi ? Un lieu social, de rencontres et de pratiques artistiques (création, production, diffusion) et un lieu politique. La Charte d’État d’Urgences commence comme ceci :

« Etat d’Urgences n’est pas née du désir de se fendre la gueule, Etat d’Urgences n’est pas née d’une volonté de création artistique, d’organisation de spectacles ou d’animation de la ville. Etat d’Urgences n’est pas née de l’expression d’idées politiques. Mais de tout cela à la fois. »

Art / Gens

Projet social, L’Usine refuse le sponsoring mais reçoit par ailleurs le soutien des collectivités publiques. « L’Association L’Usine bénéfice d’une mise à disposition gratuite des locaux qui appartiennent à la Ville de Genève, nous apprennent Sam et Clément. La convention vient d’ailleurs d’être prolongée pour 5 ans. Pour financer les activités de l’association, les entités membres versent une cotisation et les espaces publics sont financés principalement par la billetterie et le bar. Le financement varie également d’un atelier à l’autre. Certains sont des indépendants, d’autres ont une source de revenus extérieure. »

Action Bronson

Structures – Activités

L’Usine est l’un des plus grands centres culturels autogérés d’Europe avec ses 18 collectifs et associations, que voici.

ArchiCouture – atelier de couture / AzzuroMatto – atelier de photographie / Bru(i)t – label / Le cheveu sur la soupe – coiffeur / Coffre-fort – studio d’enregistrement / Compost – graphisme / Crache-Papier – atelier de sérigraphie / Forde – espace d’art contemporain / Kalvingrad – Concerts / Laika films – Collectif de cinéastes / Makhno – bar et salle de concert / Radio Usine / Reklam – impression et promotion / SHBLTH, atelier pluri-artistique / Le Spoutnik – Cinéma / Studio des Forces motrices – studio d’enregistrement / Théâtre de l’Usine – Arts de la scène / Urgence Disk – label et magasin de disques / Le Zoo – salle de musiques électroniques / Locaux de répétition.

Musique

Comme c’est à la base l’objet de notre sujet (et non le sujet de notre objet), on a aussi parlé musique avec Sam et Clément. Pour la petite histoire, Sourdoreille était partenaire de la tournée du groupe de rap La Canaille qui a présenté son album La nausée à L’Usine. On a aussi suivi de près le retour de Mansfield T.Y.A. passé par là-bas. « Les musiques pratiquées au sein de L’Usine sont – à l’image de l’Association et de ses membres – fondamentalement éclectiques, nous font comprendre Sam et ClémentNous ne présentons que peu de musique classique. En dehors de cela, il n’est pas rare de voir un concert de métal se dérouler à Kalvingrad en même temps qu’un open-mic se tient à la Makhno et que le Zoo accueille un DJ electro, sans oublier un apéro noise à UrgenceDisk. Il est aussi  fréquent que le cinéma Spoutnik ou le théâtre intègrent la musique dans leur programmation.

Florence, la programmatrice au Zoo, balaie dans le club électro de L’Usine toutes les composantes underground : drum’n’bass, dubstep, UK garage, goa/transe, techno, house, hardteck, hardcore, breakcore, acid, electro-swing, dub, hip-hop etc… « On part aussi du principe qu’il y a du bon et du mauvais dans tous les styles, on essaye donc de se concentrer sur le bon, nous indique-t-elle logiquement. Et depuis quelques années, on a mis l’accent sur les lives par rapport aux DJ sets. » Ce qu’elle a préféré inviter : « Mala, Dillinja, Sigha & Shifted, Phuture, Grems, Livity Sound, Infecticide, Silent Servant… et tous les autres. » Ceux qu’elle rêverait d’inviter : « Otto Von Schirach, Death Grips, Flying Lotus, Nils Frahm, Brian Eno, Omar Souleyman, Evian Christ. »

Militantisme

fightforlusine

Florence poursuit sur l’épineux problème des cachets mirobolants et des artistes marketés. « On peut éviter de rentrer dans une commercialisation extrême des artistes en refusant des exigences et conditions absurdes réclamées par certaines grosses agences qui considèrent les artistes comme de simples produits sur lesquels faire de l’argent. Le boycott de certaines agences peut être le reflet d’une certaine éthique. »

« Et, finit-elle, d’une manière générale la musique électronique a toujours été très associée à la fête et à la nuit. On a de la chance que cette musique ait toujours drainé des gens ouverts d’esprit (pour la majorité), sans préjugés sur l’orientation sexuelle, la nationalité, l’apparence etc… » Une utopie pas toujours vérifiée comme nous mettait en garde plus tôt dans l’année la DJ et productrice de Chicago The Black Madonna : « les sociologues ont sorti des milliers d’études sur les disparités entre hommes et femmes dans le monde du travail depuis des décennies. L’idée que la dance music soit quelque chose comme un oasis par rapport au reste n’est juste pas réaliste. »

L’Usine, en plus d’être un espace de création est d’abord un espace de militantisme. « Premièrement, la culture est politique, scandent Sam et Clément. Par ailleurs, les membres de L’Usine portent une attention particulière à la manière de faire, de produire, d’organiser. La dimension collective de L’Usine place en son cœur la question du vivre ensemble. » Les deux activistes culturels nous rappellent que l’autogestion induit l’horizontalité comme alternative aux structures hiérarchiques. « Les membres de L’Usine luttent contre les systèmes d’oppression et de discrimination : sexisme, âgisme, racisme, exclusion par le prix d’entrée… L’Usine porte également une voix dans la cité. Elle participe aux débats publics, prend position et défend les valeurs qui lui tiennent à cœur. »

Le Zoo

zoo - l'usine

Problèmes

Face à ce rêve un peu fou d’espace ouvert, de nombreux problèmes restent à affronter. Sam et Clément sont confronté­­s à l’administration « qui devient de plus en plus gourmande. Nouvelles normes, nouveaux formulaires, nouvelles déclarations. » Le monde moderne dans sa plus commune expression. Surtout que L’Usine remplit toujours plus et connaît un succès grandissant depuis ses débuts. « Nous sommes les victimes de notre succès et de la pénurie de lieux abordables et intéressants dans la Ville : beaucoup de lieux ont été fermés par l’État. Nous accueillons environ 2000 personnes par soir de week-end et devons régulièrement refuser l’entrée à plusieurs personnes. Cela représente un défi en terme de gestion du public et en terme de sécurité. » Des questions qu’ils n’avaient pas vraiment à se poser à l’époque des squats à profusion. « Le panorama dans laquelle est née L’Usine a lui été chamboulé. La presque disparition des squats a été une des modifications majeures. Actuellement, les volontés hygiénistes et sécuritaires sont majoritaires. Ce qui rend l’ambiance un peu morose. »

Outre la gestion d’un lieu qu’il faut faire tourner, protéger, mettre aux normes et développer, « des pressions sont également régulièrement exercées par l’extérieur : que ce soit des politiques, de l’administration ou des voisin­-e­-s, ils-elles sont nombreu­x­-ses à vouloir nous faire fermer ou nous faire changer notre façon de faire. Nous passons un temps important à expliquer qui nous sommes et ce que nous faisons. »

Genève

On vous avoue qu’un centre autogéré à Genève, ça nous en a bouché un coin. Mais les a priori, c’est le passé (faisons en table basse, disait un mec au bar du coin) : la Suisse, pays d’anars ? Genève, la ville du « possible » pour soutenir les actions culturelles ? On parle bien de la métropole dans laquelle logent le siège européen des Nations unies, l’Organisation mondiale du commerce et l’Organisation mondiale de la santé. Sam et Clément nous apportent des éléments de réponse : « La Ville de Genève a un budget culturel important, un des plus élevés de Suisse. De ce fait, les subventions permettent de soutenir de nombreux acteurs culturels et de proposer une offre riche et diversifiée. Il est cependant dommage de constater que les grandes institutions (Grand théâtre, comédie, …) mangent la plus grande partie de l’argent dévolu à la culture. »

fight

Projets et fin

Avant la mise en grève de L’Usine, on avait cherché à savoir quels étaient les projets de Sam et Clément pour l’année à venir. « Nous sortons d’une longue lutte contre le service de la sécurité et de l’économie. Nous nous réjouissons de pouvoir nous concentrer sur nos activités dont les 80 événements publics que nous proposons par mois en moyenne. » La lutte semble loin d’être finie, comme l’attestent les récents événements (lire sur la Tribune de Genève : L’Usine est entrée en guerre avec le Canton). En effet, privée de subvention, L’Usine a organisé une grève surprise vendredi 02 octobre. Elle a dénoncé « les velléités de domination de l’économie et de la sécurité sur les autres domaines, incarnées par l’ingérence et le chantage du magistrat cantonal Pierre Maudet. » Un type vachement sympa qui répond à l’attaque par une phrase comme « l’Usine n’est pas au-dessus des lois, y compris et surtout quand on prétend à être subventionné et ce, même si on a pris la mauvaise habitude, depuis des décennies, de mépriser l’autorité. » Sacré Pierrot.

Sourdoreille : Comment résumer L’Usine en une phrase ?

Sam et Clément : Il faut venir sur place, voir, sentir, goûter, prendre part !

En guise d’amuse-­gueule, Sam murmure : « Les maîtres ont changé cent fois c’est le jeu de la démocratie. Quelque soit ceux qui font les lois c’est toujours la même supercherie” (René Binamé, “Révolte”)

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