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Damien Rice, instants suspendus au Grand Rex

Ce soir-là, on est arrivés tôt sur place. On s’est installés dans nos fauteuils moelleux en grignotant des pop-corns, on a discuté de tout et de rien. Et puis la première partie a débarqué sur scène, et là ça a été le début d’une toute autre soirée ; celle qui nous remue à l’intérieur, et donne encore le sourire dix jours plus tard.

Mariam The Believer avait apparemment perdu tous ses instruments à l’aéroport. Sauf sa guitare. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’a pas eu l’air de vraiment la gêner. Les morceaux défilent et on plonge de plus en plus profondément dans ses balades organiques, vibrantes d’une mélancolie un peu perchée, habitées par son chant à la St.Vincent. On retiendra notamment la fascinante « To Conquer Pain With Love », à l’éclat quasi-religieux avec son orgue en sourdine.

Les lumières se rallument, le temps que les derniers fauteuils vides se remplissent côté public, et puis elles s’éteignent de nouveau. Voilà Damien Rice debout devant nous, porté par l’élan vrombissant de la foule. Les premières notes de « Cannonball » retentissent, ça y est, on est partis…

Imaginez un grand bateau en bois, avec à son bord un seul capitaine, qui en plus de manier la barre pourrait se mettre tout d’un coup à grimper en haut du mât pour refixer la grand-voile, courir à l’avant pour vérifier qu’il n’y a pas de trou dans la coque, enfiler une toque pour tenir les fourneaux. Un capitaine un peu fou, que les passagers regarderaient d’un œil à la fois fasciné et amusé. Le Rex ce soir-là, c’est ce grand bateau. Et Damien Rice le capitaine, sans âge, jonglant entre ses instruments et ses boucles de sons qu’il enregistre au fur et à mesure. Entre ses mains, on passe du rire aux larmes : il chante, on pleure, il parle, on rit. Ou parfois on rit, lui et nous, en plein milieu de ses morceaux. Quand on se rend soudain compte qu’il glisse l’air de rien des paroles comme « Loving is good if your dick’s made of wood » (extrait de « The Professor & La Fille Danse ») ou qu’il change le rythme du morceau exprès pour que ceux qui tapent dans leurs mains n’arrivent plus à suivre. Quand il nous explique en français très sérieusement que « C’est dur d’avoir des testicules », tente un « J’ai… apprendi ? » ou essaye de nous convaincre que « Allez, confusant, ça se dit non » ?

Son set est donc loin d’être déprimant, et également loin d’être un simple guitare/voix, comme on pourrait le croire – rien à voir avec le showcase qu’il avait donné en début d’année au Châlet des îles. Il joue avec nos cœurs et nos oreilles, alterne les moments d’extrême douceur (on aura même droit à un pur instant méditatif avec « Trusty and True » sur laquelle il utilise une sorte de vieil harmonium à soufflet aux accents irlandais en répétant « What is done is done » après un discours sur l’acceptation du passé) avec des explosions sonores, à coup de guitare électrique et de saturations en tous genres. Il alterne aussi les albums, piochant un morceau sur « 9 », un morceau sur « 0 », un morceau sur « My Favourite Faded Fantasy ».

Pour le rappel, il invite Mariam à chanter sur « My Heart », morceau qu’elle interprète habituellement avec son mari Andreas Werliin (ils forment tous les deux le groupe Wildbirds and Peacedrums). C’est fin et fou, délicat et empreint d’une complicité qui fait plaisir à voir. Et puis « 9 Crimes », qui commence sur le fil puis s’étoffe tandis qu’il ajoute progressivement clarinette, guitare électrique, chœurs et percussions. Tout le Grand Rex vibre. Les splashs de lumières au-dessus de lui ressemblent à des feux d’artifices. Et puis le silence. Il revient pour un dernier morceau : « The Box », a capella debout devant son public, lumières éteintes. Là-haut au plafond, les étoiles brillent plus fort.

On met un pied prudent dehors, l’esprit encore un peu embrumé par des flashs de moments suspendus : la fumée qui danse, légère, devant le spot ocre ; son ombre géante derrière lui ; le public muet et le tic tac de la montre de notre voisine, le froissement des peaux sur le cuir des fauteuils ; et notre cœur qui cogne, cogne. Il y a des concerts magiques, dont on se souvient toute sa vie.

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