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Albin de la Simone : « Tu ne peux pas te laisser entraîner par la rime »

Discuter avec un artiste lors de sa sortie de disque est un exercice parfois compliqué : noyé sous les interviews, il peut se réfugier sous des phrases types et développer des réflexes promotionnels. Pour interroger Albin de la Simone, nous avons choisi le parti-pris inverse : attendre plus d’un an après la parution de son quatrième album pour bénéficier du recul du géniteur sur son bébé et sur la tournée qui l’a accompagnée. A nos yeux, « Un homme » est l’un des plus grands disques de chanson française entendus ces dernières années. Rencontre, chez lui, avec un type attachant et un artiste enfin reconnu à sa juste place.

A la sortie de ’Un homme’, tu déclarais vouloir « composer un disque qui se débarrasse du fantasme pop ». Cela voulait dire quoi,  exactement ? 

Je vais parler de moi, mais je le pense pour beaucoup de chanteurs quand je produis leur disque. J’ai mis longtemps à me rendre compte d’une chose : on est piégé et dérouté par les fantasmes du « comment on aimerait être ». Selon les gens, on a ce fantasme d’être un dur, être baraqué, être intello. A chacun ses fantasmes. Et ça nous détourne souvent de ce que l’on est intrinsèquement. De mon côté, j’ai eu le fantasme d’être dans un rapport plus physique, plus pop, électrique et pêchu, avec le public debout. J’ai mis longtemps à comprendre que mon identité n’était pas là, si je voulais respecter ma voix. Car tout part de ma voix. Pour la mettre en valeur, il ne faut pas jouer du rock. Sinon, elle semble molle. Elle n’est pas taillée pour ça. Alors que si on dégage tout autour de ma voix, si on met peu de choses autour, elle est valorisée. Selon moi, c’est la seule manière de l’aimer. 

Ce sont donc les limites de ta voix qui ont permises les couleurs de ce disque-là ? 

Oui. Nos capacités permettent de créer, mais ce sont également nos limites qui définissent ce qu’on fait. C’est comme pour le physique, tu ne peux rien y faire. Je peux prendre des cours de chant, je ne vais pas me mettre à chanter comme Camille, c’est impossible. Il faut donc se connaitre, puis s’accepter et savoir se dire « tant pis ». Quand je me regarde dans le miroir, je ne peux pas changer ce que je suis. Ma seule chance de survie est donc de trouver un équilibre. 

Et tu estimes justement avoir désormais trouver cet équilibre ? 

Ah oui !

Cela veut donc dire que tu as parfois fait fausse route, auparavant ? 

Oui, bien sûr. Du moins, je me cherchais. Je n’ai peut-être pas trouvé définitivement, mais j’ai mon adéquation actuelle, entre ce que je suis et ce que j’écris. J’ai fais le tri, également. D’ailleurs, en étant jury pour les Inouis du Printemps de Bourges, je me suis rendu compte d’un truc : on confond trop souvent la musique qu’on aime écouter et celle qui nous convient. Parfois, j’ai entendu à Bourges des artistes qui chantent en anglais avec l’accent de mon cousin. Mais si je ne comprend pas qui ils sont, ça ne m’intéresse pas. Autant écouter la version originale, dans ce cas-là. 

« C’est aussi en rencontrant

Matthieu Boogaerts et Matthieu Chedid

que j’ai voulu, moi aussi, devenir un corps »

Au delà des jeunes artistes, le mimétisme que tu décris est aussi valable pour des grands noms. 

Ah oui, complètement. Cela concerne plein de gens. Mais c’est là que c’est compliqué et qu’il faut chercher, d’autant qu’on n’a jamais totalement trouvé. C’est ce qui nous met en danger tout le temps. Par exemple, je peux complètement louper la suite alors qu’on dit que j’ai plutôt réussi cette étape-là. Désormais, qui suis-je ? Que vais-je trouver à raconter ? C’est une recherche. Vraiment. 

Pour revenir aux limites de ta voix, cela renforce ce souci d’exigence lié au mot et au sens ? 

Non, je ne pense pas. Car je me suis d’abord mis à chanter ce que j’écrivais. C’est grâce au besoin de m’exprimer par les mots que je fais de la musique. C’est aussi en rencontrant Matthieu Boogaerts et Matthieu Chedid que j’ai voulu, moi aussi, devenir un corps. Je me suis dis : « Moi aussi,  je veux incarner ce que j’écris ». Comme un comédien interprète qui voudrait devenir auteur. Quand je ne faisais qu’accompagner les autres, il me manquait quelque chose. 

Tu as aussi été très pointilleux pour coller à ce que tu vivais. Comme si l’artiste devait être raccord avec l’homme que tu étais. 

Oui, ça m’est surtout arrivé sur deux titres de l’album, qui ont du coup été très compliqués et exigeants à écrire. Quand tu veux réussir à exprimer le vérité de ce que tu ressens, tout en restant un peu abstrait mais pas trop, avec le rythme et la mélodie. C’est Mes épaules et Ma crise. Tu ne peux pas te laisser entraîner par la rime. Sinon, tu trouves une phrase, puis la suivante, et tu te laisses embarques par le mot qui t’entraîne ailleurs. Je ne voulais pas de ça. 

« France Inter, Fip et Nova choisissent les

chansons qu’elles passent. 

Sans ces radios,

on serait gravement dans la merde. »


Et c’est finalement Mes épaules qui déclenche le succès du disque. Elle est choisie par France Inter, avec une fréquence de rotation inédite pour toi. 

Ah oui, je n’avais jamais connu ça de ma vie. Et puis ça a duré. J’ai eu quatre chansons en playlist sur France Inter, alors que je n’en avais jamais eu une seule. Dont « moi moi moi», avec ses deux minutes d’instrumental. Clairement une chanson foutue à l’envers. Je m’étais dit « tant pis pour les radios ». Au final, elle est aussi passée sur Nova. France Inter, Fip et Nova choisissent les chansons qu’elles passent. C’est signe qu’ils ont une identité et qu’ils écoutent les disques. Sans ces radios, on serait gravement dans la merde. D’ailleurs, je l’étais un peu avant, quand France Inter ne me passait jamais. 

C’est vrai surtout dans ton registre. 

Oui. Sinon on passerait où ? 

Sur beaucoup d’autres chansons, tu gardes malgré tout un côté très suggestif. Pour toi, le mystère reste l’autre condition d’une bonne chanson ?  

(Il prend son temps et hésite). Le trou est la condition sine qua non à l’oeuvre d’art. Je généralise.

Il faut laisser de l’espace…

Oui, laisser de la place pour entrer. Si tout est expliqué sans aucune participation, ce n’est plus une oeuvre, c’est une description. L’intérêt réside dans la part que toi, spectateur, va interpréter. Tu vas devoir relier les points. Une oeuvre m’intéresse quand je ne sais pas comment relier ces deux points, et quand je ne suis pas sûr de comprendre. Je définis le contexte tout un laissant délibérément une énorme question en plein milieu pour laisser la possibilité d’appropriation et d’interprétation. 

Du coup, une fois évité ce piège des mots, tu as ensuite le piège des images, avec tes clips. 

Ah oui, pour ça, c’est l’enfer, les clips ! 

Sur la Fuite, tu as volontairement pris la tangente ? 

Je n’allais pas commencer à mettre une famille dans un bateau. Pour le coup, il ne risquait pas de finir sur M6, ce clip. Etre avec Alexandre Tharaud, avec des dindons dans le cirque de Bartabas, forcément (rires). Pour le coup, on s’est dit : « Tiens, rajoutons des questions ! ». « Pourquoi le dindon ? », par exemple.  Mais quand c’est 100% abstrait, ça peut m’emmerder. Par exemple, j’adore Bashung mais moins l’abstraction de Bashung et surtout l’abstraction des gens qui écoutent Bashung. Cela peut aussi être un prétexte à dire n’importe quoi. Sauf Pour JP Nataf pour qui le texte est secondaire. Mais quelques fois, chez d’autres, je flaire l’escroquerie. 

Je ne te demanderai pas qui. 

Je ne te dirai pas, de toute façon (sourires)



Ce disque était aussi un disque sur la nuance. Il s’appelle « Un homme » mais on a l’impression que tu as justement pris un soin précis à ne pas le définir. Ou alors à le définir dans toute sa complexité. C’était un point de départ ? 

C’était pas délibéré mais plus je vieillis, plus je me reconnais dans ces zones de flous. Le côté manichéen n’existe pas. Il n’y a jamais de réponse simple à un problème. C’est valable pour tout. Au départ, on nous dresse un tableau hyper simple de l’humanité, de l’amour : Papa aime maman, qui aime papa. Non, papa trompe maman et maman trompe papa. C’est plus nuancé. 

Et ça a influencé le visuel de la pochette du disque, qui est flou ? 

Oui. Il fallait que tout soit homogène. Par contre, la typo est très définie, archi-classique. Mais derrière, il y’a un mouvement. Mais c’est venu naturellement, ce n’est pas un concept de départ. C’est plus facile à dire désormais, avec le recul. 

C’est pour cette raison que c’était intéressant d’en discuter maintenant. 

Oui, car maintenant, je sais comment il a été perçu. Mais au départ, je voulais écrire de bonnes chansons mais j’en ai chié. J’ai refait 100.000 fois des versions, tu n’imagines pas le nombre de chansons que j’ai jetées. Au final, une seule ne parlait pas de « l’homme ». Donc on ne l’a pas gardée et le titre de l’album était tout trouvé. Donc j’attends de voir de quoi parlera le prochain. Je suis incapable de me dire « Tiens, je vais écrire sur ce sujet ». J’y passerais quatre ans. C’est la raison pour laquelle je n’écris pas pour les autres. Je ne sais pas écrire sur commande. 

« Miossec est un puits de culture hallucinant »

Finissons par tes collaborations. Tu as co-réalisé le dernier album de Miossec. Vous avez des points communs finalement, comme cette intransigeance sur vos albums précédents. 

Une autre chose nous réunit et on ne le savait pas : notre discothèque. Connaissant seulement un peu Miossec, je ne m’attendais pas une discothèque pareille. En fait, il écoute de la musique de partout. Miossec est un puits de culture hallucinant. C’est vraiment dingue. Art contemporain, littérature, etc. Il lit comme un fou. Il peut aussi te parler foot, politique, il est très ouvert sur le monde. C’est un mec étonnant. 

Et sur le plan musical ? 

Là pour le coup, on est très éloignés. On est complexés tous les deux mais on n’a pas le même problème. A nous deux, on est plus complet. On ne se connaissait pas très bien et on s’est surpris. Pour découvrir ses chansons, c’était un vrai parcours de révélation, un peu comme en photo. J’ai adoré. Je rêvais d’un Miossec doux. Lui aussi, mais il avait peur de se ramollir. Son concert à la Cigale était magnifique. Il est heureux comme jamais. 

Tu as toujours 10.000 projets en cours. Tu as besoin de cette dispersion ?

C’est surtout que je ne sais pas comment les gens font pour rester trois ans sur la même chose. Mais toutes les collaborations ne prennent pas toujours beaucoup de temps. Comme il s’agit de disques, ça reste donc on a l’impression que je fais beaucoup de choses. Il faut quand même que je fasse gaffe. Là, je commence à dire non. J’espère juste qu’on ne va pas me proposer un truc impossible à refuser. L’automne dernier, je me suis retrouvé à bosser pour Christophe, Shaka Ponk et Dick Annegarn. Le grand écart. Mais ça me nourrit. Tout seul, je n’arrive pas à progresser. C’est aussi un tel luxe. Moralement, je n’ai pas le droit de refuser. Je n’ai pas le droit de me plaindre, il y a tellement de gens qui galèrent. Moi-même, j’ai tellement galéré.

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